Témoignage : 'La néonat’, c’est vraiment un monde à part', Elodie raconte son bébé prématuré

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dossier Elodie, 29 ans et maman d’un petit garçon de 9 mois en âge réel (jour de sa naissance), 7 mois en âge corrigé, menait une grossesse sans problèmes quand bébé a fait comprendre qu’il pointerait le bout de son nez plus tôt que prévu. Après avoir tout fait pour garder bébé au chaud le plus possible, c’est finalement à 32 semaines et 6 jours que le petit, tout petit Aaron est né.

« Ma grossesse s’était jusqu’à présent bien passée, sans souci particulier. À 30 semaines, j’ai commencé à avoir des chutes de tension et à ressentir une grosse fatigue, mais rien de plus. J’avais passé l’échographie du troisième trimestre, le bébé était bas mais le col était long et fermé. Ma gynécologue ne m’avait donc pas mise au repos. Je lui avais expliqué mes chutes de tension, mon stress au travail, mais pour elle, ça n’était pas alarmant.

Les jours d’avant

Trois jours plus tard, je me suis rendue aux urgences car j’avais été réveillée toutes les heures par ce que je supposais être des contractions. À l’hôpital, le monitoring était bon, il y avait bien une activité utérine mais pas de contractions de travail, le col était toujours fermé. Les analyses d’urine n’ont pas révélé d’infection. J’ai donc été arrêtée seulement trois jours. Avant la fin de mon arrêt, j’ai remarqué des petites pertes de liquide, quelques gouttes. Je ne savais pas ce que c’était. Peut-être des pertes urinaires de fin de grossesse? Malheureusement, le test effectué au moyen d’une bandelette a révélé que c’était bien du liquide amniotique. J’avais fissuré la poche des eaux.

Ma gynéco m’a expliqué qu’on allait me faire tout de suite une ponction de liquide amniotique. Si cette ponction était mauvaise, j’accoucherais le jour-même par césarienne. Si la ponction était bonne, qu’elle ne montrait pas de signe d’infection, alors on essaierait d’aller le plus loin possible dans la grossesse, mais avec une hospitalisation. Le but était d’arriver à 34-35 semaines. Bien sûr, ça n’était pas l’idéal, car en théorie, quand on perd les eaux, on a 48h pour accoucher avant de risquer l’infection.

Les résultats de la ponction étaient bons. On m’avait quand même administré des corticoïdes pour la maturation des poumons du bébé, au cas où il devrait sortir rapidement. On m’a aussi donné un antibiotique par intraveineuse pour lutter contre une éventuelle infection. Je suis restée ainsi hospitalisée pendant 12 jours, sous surveillance permanente. Chaque jour, les tests s’enchainaient: analyse d’urine, prise de sang, prise de tension, mesure de l’indice infectieux dans le sang, examen gynécologique, échographie deux fois par semaine… Si tout était ok, on continuait. Si la situation commençait à devenir mauvaise, on essaierait de la gérer en fonction des paramètres. Le stress était permanent.

Chaque jour gagné comptait

Quelques jours plus tard, j’ai dit que je sentais de moins en moins mon bébé bouger. En allant aux toilettes j’ai perdu les eaux, vraiment cette fois. Mais on m’a dit qu’un bébé pouvait vivre avec très peu de liquide, et le chef de service a décidé de continuer la grossesse jusqu’à, si possible, 34 semaines. Sauf que mon bébé montrait des signes de détresse fœtale, ses intestins relâchaient du méconium (premières selles du nouveau-né, ndlr). Les choses commençaient à s’accumuler. Le lendemain matin, quand la gynéco est venue, j’étais dilatée à 3 cm. Le bébé avait envie de sortir, le travail commençait.

Le chef de service a décidé de maintenir coûte que coûte la grossesse. Toujours dans l’idée de tenir le plus de jours possible. Ça devenait vraiment dur, j’avais l’impression qu’on essayait de garder mon bébé à l’intérieur contre sa volonté. J’avais fissuré la poche depuis dix jours, j’avais des contractions, j’avais perdu les eaux, le bébé avait fait une détresse et il bougeait moins. Je me demandais dans quel état était ce bébé dans mon ventre. C’était un stress horrible. Et les médecins vous font comprendre qu’ils marchent sur des œufs, ils ne peuvent garantir que le bébé ira bien.

La naissance

Toute la journée j’ai eu mal. Le soir même, j’étais dilatée à 7 cm, mais le monito n’avait pas marqué les contractions. On m’a alors annoncé que j’allais accoucher par voie basse. Je me suis sentie soulagée, mais dans quel état allait sortir mon enfant? Au moment de l’accouchement, on m’a expliqué comment les choses allaient se passer. L’équipe vous prépare à quelque chose de difficile: vous allez accoucher, on ne va pas faire trainer les choses, et on ne peut pas vous dire si vous allez voir votre bébé ou pas, dans quel état il sera, et s’il sera transporté en urgence ou non. Heureusement mon bébé a crié donc j’ai pu l’avoir 10 secondes contre moi. Puis ils l’ont vite emmené faire tous les examens, mon compagnon a suivi. Notre fils était en bonne santé pour un prématuré. Ils me l’ont ramené dans sa couveuse pour que je le voie un instant, puis ils l’ont descendu en unité de néonatologie, toujours avec son papa.

Les minutes et heures qui ont suivi ont été très difficiles parce que j’étais seule. On m’a recousue et dit « On va vous laisser vous reposer ». C’était loin de ce que je m’étais imaginée! Un peu comme une rencontre manquée… On m’a ensuite ramenée dans ma chambre en MIC (Maternel Intensive Care), et non en unité d’accouchement car on ne voulait pas me mettre à côté d’une maman qui avait son bébé, alors que moi je n’avais pas de bébé.

Après deux heures, j’ai pu descendre le voir dans sa petite couveuse. Il n’avait pas de masque respiratoire mais c’était très impressionnant, toutes les constantes sont monitorées: taux d’oxygène dans le sang, battements cardiaques, etc. On m’a expliqué qu’on allait le garder dans une couveuse pour reproduire le ventre de la maman: 37 degrés, et un certain taux d’humidité. J’ai accouché à 32 semaines + 6 jours. Mon fils pesait 1,970 kg pour 46 cm. Chaque jour en néonat’ est un combat. Si bébé buvait quelques millilitres par jour en plus c’était une victoire. Ce sont des petits progrès comme ça chaque jour.

La néonatologie, « un petit monde à part »

Notre bébé faisait partie des « grands » du service préma. C’est un service qui accueille des bébés à partir de 25 semaines (voire plus jeunes, si le bébé survit sans réanimation). Il y a des bébés qui pèsent 600 g! Les prématurés ont des tonnes de machines autour d’eux, des dizaines de personnes s’occupent d’eux, certains sont surveillés en permanence.

Quand vous passez la porte de la néonat’, vous découvrez un monde à part entière. C’est un environnement très particulier, avec une espèce de petite communauté de mamans et de papas qui viennent passer la journée avec leur bébé. Parfois, vous pouvez faire un peu de peau à peau, mais sinon, les bébés sont trop petits pour tout, vous ne pouvez pas leur donner le bain ni les nourrir. Vous passez donc la journée à côté de la couveuse à regarder votre bébé.

Dès qu’on est entrés dans le service, on nous a dit: « En néonat’, c’est deux pas en avant et un pas en arrière ». On ne se rend pas compte de tout ce qui est lié à la prématurité, même pour un bébé « grand » comme mon fils. Tout est encore immature et l’enjeu c’est que tout se mature correctement. C’était les montagnes russes, et encore, pour un bébé de 32 semaines ça n’avait rien de comparable avec un bébé de 25 semaines, où on rappelle les parents en pleine nuit parce qu’on ne sait pas si le bébé va survivre.

L’accompagnement, de mon hospitalisation au moment où Aaron est rentré à la maison, a été super. Et puis il y a les autres parents, on voit les mêmes gens tous les jours, on tisse des liens. Malheureusement les papas doivent souvent retourner au travail. Alors ce sont surtout les mamans qui passent leur journée sur place. On finit par aller manger ensemble, on se raconte nos parcours, on apprend beaucoup de choses sur le plan médical. Je connais maintenant beaucoup (trop?) de choses qui sont d’ailleurs source d’inquiétude pour un second bébé. J’ai aussi été très soutenue par mon entourage, les gens venaient me voir, m’offraient des livres, mais je n’avais pas le cœur à leur dire que je n’arrivais même pas à ouvrir un livre…

Retourner chaque jour chez soi sans son bébé, ça n’est pas normal. Le premier jour où vous sortez de l’hôpital et que vous croisez tous ces parents avec le MaxiCosi, c’est compliqué. C’est aussi difficile de créer du lien avec votre bébé qu’on vous a arraché dès la naissance, pour son bien. Les infirmières savent mieux s’occuper de votre enfant que vous. On est à côté, on fait du mieux qu’on peut mais avant 34-35 semaines on ne peut pas changer son bébé, pas l’allaiter, pas le laver en autonomie, sans une assistance médicale. Alors, petit à petit, vous apprenez les gestes, avec l’infirmière.

On n’oublie pas

Aaron aurait dû rester 7 semaines en néonatologie, mais avec le contexte sanitaire du coronavirus, il est sorti un peu plus tôt que prévu, au bout de 4 semaines. Il y avait des cas de Covid dans l’unité. On est rentrés juste avant sa 37e semaine. C’était difficile car bébé était encore très petit. Il fallait le réveiller pour manger. Il mettait plus d’une heure pour boire son biberon. Je tirais mon lait, donc en tout, ça prenait deux heures.

Aujourd’hui, Aaron va très bien. Il a rattrapé son retard poids-taille et va bien d’un point de vue moteur, c’est aussi un petit garçon très joyeux! Mais on n’oublie pas. Les gens disent toujours « C’est bon maintenant il va bien », mais moi, je ne vais jamais oublier. C’était tellement loin de l’image que je m’étais faite du devenir mère! Vous ne développez pas de lien maternel facilement avec un bébé dans une couveuse. C’est un apprentissage sur du long terme, un peu comme une réparation de tout ce qui a été cassé dans les premiers moments de vie de son enfant. Il faut l’expérimenter pour savoir à quel point ça peut nous heurter et à quel point on en garde des cicatrices.

J’espère ne pas revivre ça pour un prochain bébé. On pourra toujours anticiper: cerclage du col, alitement précoce, mais ça reste compliqué parce qu’on ne sait pas pourquoi j’ai accouché plus tôt. On a analysé mon placenta… Rien. Aucune infection, la raison de cette naissance prématurée reste un mystère. On espère juste ne pas revivre tout ça et surtout ne pas le vivre à 25 semaines, cette fois-ci. Le combat de ces bébés de 25 semaines, on l’a vu. Un jour proche de la sortie d’Aaron et d’autres bébés comme lui, j’ai dit à une infirmière « Ah ben finalement ça se finit bien » et l’infirmière m’a répondu « mais madame, sur ces bébés de 25 semaines, il y en a un sur deux qui aura des séquelles ». Et c’est vrai qu’on n’y pense pas toujours mais, la prématurité, c’est aussi tout ça.

En attendant, on profite de notre petit bonhomme qui a rampé pour la première fois il y a quelques semaines. Best moment ever… »

auteur : Amélie Micoud - journaliste santé

Dernière mise à jour: juin 2023

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