#moncherventre, "Tu portes les stigmates de mes enfantements"

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Cher ventre, je suis désolée. Je ne suis pas toujours sympa avec toi. Tu me donnes des complexes, et tous les jours ou presque je me plains de toi. Pourtant, je devrais te vouer une reconnaissance éternelle, tu as porté mes deux enfants sans jamais faillir.

Toi et moi, nous sommes dans une relation compliquée, comme on dit. Car à bien y réfléchir, j'ai des sentiments très contradictoires à ton égard. Depuis mes deux grossesses, je ne t'aime plus. Je te trouve moche, mou, gros, déformé. Pourtant, je n'ai pas eu de vergetures, je n'ai pas ce tablier que certaines ont après avoir eu plusieurs enfants, et mes organes semblent, pour l'instant en tout cas, être restés bien en place. J'ai toujours été et suis restée mince, même après deux enfants.

Mais quand je me regarde dans la glace, quand un passage devant une vitrine trahit un repas un peu trop copieux, je ne t'aime pas. Je ne t'aime plus.

Tu portes les stigmates de mes enfantements: un nombril qui sort, une cicatrice, un relâchement de ta peau et de tes muscles qu'on ne peut décemment pas attribuer au fait que j'avance en âge. J'ai honte quand je suis assise et que ma peau dégouline par-dessus mon pantalon. J'ai honte quand je me penche en avant, et que tu sembles pendre dans le vide - oui, pendre - avec ce nombril formant encore plus cette ridicule petite boule. J'ai honte à mon cours de danse. J'ai honte dans les moments intimes. J'ai honte en maillot de bain, en petite robe, ou à la fin d'un dîner avec mes copines.

Mon petit garçon de 3 ans a ri plusieurs fois en te regardant, cher ventre. Ton nombril surtout, qu'il trouve très drôle...

J'admire ces femmes qui osent montrer leurs chairs meurtries. Moi, quand je regarde ma cicatrice, je ne vois rien d'autre qu'une cicatrice. Elle ne me dérange pas - ça n'est pas elle qui me complexe - mais elle n'a, pour moi, aucune portée symbolique de mon devenir mère. Et si je pouvais m'en passer, ma foi je m'en passerais, tant qu'à faire. Je ne suis pas plus fière de mon corps parce qu'il a porté la vie (même si je lui en suis éternellement reconnaissante) ni ne le trouve plus beau parce qu'il porte les stigmates de la maternité. Si mon corps était aujourd'hui exactement le même qu'avant, je ne me sentirais pas moins fière ni moins mère.

Moi, j'ai un diastasis. Ça signifie que mes abdominaux ne se sont jamais refermés. Si je suis couchée et que je me redresse, mon ventre prend la forme d'un drôle de cône, et mon nombril forme cette foutue petite boule. J'ai l'air enceinte de 5 mois quand j'ai mangé et mes pantalons me serrent tous à la taille alors qu'ailleurs, mon corps n'a pas changé. C'est pas cool un diastasis. Rien qui donne envie de hashtager dans un élan de bodypositivité façon #monpostpartum ou #unsourireenbasduventre. À la rigueur, ça pourrait me servir pour avoir une place assise dans le bus, quand j'ai l'air d'être enceinte de quelques mois. Mais c'est tout.

Mon petit garçon de 3 ans a ri plusieurs fois en te regardant, cher ventre. Ton nombril surtout, qu'il trouve très drôle et sur lequel il a envie d'appuyer comme sur ces jouets à la mode, les fameux "Poppit", avec les petites boules qu'il faut enfoncer du bout du doigt, façon papier-bulle.

Mon aîné m'a un jour dit que tu étais moche. Comme ça, sans détour. J'ai eu envie de protester! De lui dire que hé, si tu avais cette tronche-là, c'est parce que tu les avais portés, lui et son petit frère. Mais il s'agissait d'un enfant de 5 ans dont les préoccupations devaient être à des années lumière de celles d'une maman qui, seule face à son miroir, regarde ce corps qu'elle ne reconnait plus vraiment et se dit que, merde, quand même, c'était mieux avant.

Et pourtant...

Pourtant, j'ai une chance inouïe.

Toi, mon ventre, tu ne m'as jamais lâchée. Par rapport à bien des femmes, j'ai eu beaucoup de chance que tu sois mien, tout imparfait que tu sois maintenant. Je suis tombée enceinte facilement, sans traitements, malgré mes presque 36 et 39 ans. Et toi, cher ventre, tu as fait en sorte que tout marche comme sur des roulettes quand, pourtant, j'étais terrifiée à l'idée de faire une fausse couche, ou que quelque chose cloche.

J'ai adoré te voir t'arrondir, j'ai aimé être enceinte. Je ne te voyais pas comme une excroissance handicapante et me contrefichais de la taille que tu prenais. Je te trimballais partout, jusqu'au bout. J'espérais même que tu allais garder au chaud encore un peu mon bébé pour que je puisse profiter encore un peu, rien qu'un peu... Juste moi, toi, nous. Pour le coup, j'étais fière de toi, et fascinée par cette forme dingue que tu prenais. Tout ça, c'était fou! Partout sur les réseaux sociaux, je lisais des mamans inquiètes: des artères qui semblaient ne pas suffire pour bien faire grandir leur bébé, des fausses couches à répétition, des essais bébés interminables, des menaces d'accouchement prématuré, des cerclages, des piqûres d'hormones, des échos dans tous les sens et, autour, une souffrance aussi incommensurable que taboue.

Moi, rien de tout ça. Une chance inouïe je vous dis. Une chance presque insolente.

Oh tu m'as parfois fait souffrir! Lors de règles particulièrement douloureuses, lors de mes accouchements. "Elles sont pas sympas vos contractions", m'avait dit la sage-femme pendant que je mettais au monde mon deuxième bébé. Mais je te dois tout: je te dois mes deux enfants. Je te dois de les avoir portés facilement, jusqu'à la fin. Je te dois de t'être remis malgré tout. Oui j'ai porté mes pantalons de grossesse longtemps après mes accouchements. Oui j'ai souffert quand, après ma césarienne, me redresser normalement me faisait suer sang et eau - au sens propre. Oui j'ai eu du mal quand tu as été soudain vide, comme un ballon de baudruche qui se dégonfle. Mais quand je regarde ces photos de moi en fin de grossesse, je me dis que finalement, on ne s'en sort pas si mal toi et moi. Ta résilience m'épate, ta constance me rassure.

Même que parfois, dans ton creux, il m'arrive de sentir des petits coups. Ils appellent ça des coups fantômes que, paraît-il, bien des femmes ressentent parfois pendant des années après leur grossesse. Je me dis que, décidément cher ventre, tu me surprendras toujours.

Je ne t'aime peut-être plus comme avant, mais un "maman, je t'aime de tout mon cœur" d'une écriture enfantine reçu à ma dernière fête des mères m'a rappelé que, décidément, TOUT valait le coup.

Alors, cher ventre, je ne t'aime plus comme avant mais je vais t'aimer comme après.
Merci pour tout.

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auteur : Amélie Micoud - journaliste santé

Dernière mise à jour: juillet 2022

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